vendredi 9 septembre 2016

Nu dans ton bain face à l’abîme

Écris sur ce monde, peu importe sur quoi d’autre tu écris, un monde dominé par des rêves morts. Marque l’absence d’Espoir, de Croyance, d’Engagement, de Sérieux ampoulé. Marque le passé avec lequel nous avons rompu et l’avenir qui nous détruira. Écris sur une sorte d’espoir qui fut jadis possible comme Littérature, comme Politique, comme Vie, mais qui n’est plus possible pour nous.
Marque ton sentiment d’imposture. Tu n’es pas un Auteur, pas dans le vieux sens du mot. Tu n’as pas vraiment écrit un Livre, pas un Vrai Livre. Tu n’appartiens à aucune tradition, aucun mouvement, aucune avant-garde. Il n’y a rien en jeu pour toi dans la Littérature, pas vraiment, malgré toutes tes simagrées de dément. De plus, très peu de gens lisent en fait ; marque aussi ce fait. Personne ne lit, espèce d’idiot ! Il y a plus de romanciers que de lecteurs. Il y a bien trop de livres…
Marque ta mélancolie. Marque le fait que la fin est proche. La fête est finie. Les étoiles disparaissent et le ciel noir ne prête pas attention à toi ni à toutes tes âneries. Tu es avec les personnages de Bolaño, à la fin de leur quête, perdu dans le désert de Sonora, et c’est la fin de toutes les quêtes. Tu dessines des croquis stupides pour passer le temps dans le désert. La voilà, ton œuvre : dessiner des croquis stupides pour passer le temps dans le désert.
Ne sois pas généreux et ne sois pas gentil. Ridiculise-toi et ridiculise ce que tu fais. Art sauvage, comme le cannibale que tu es. Souviens-toi de ceci : c’est seulement quand la chose est morte, que des millions de corbeaux l’ont dévorée, que les chacals l’ont rongée, qu’on lui a craché dessus avant de l’oublier, que nous pouvons découvrir le dernier os inviolé