dimanche 14 février 2016

Fragments

Il est si difficile de décrire ce que l'on éprouve, lorsque l'on sent qu'on existe réellement et que notre âme est une entité réelle - si difficile que je ne sais avec quels mots humains je pourrais le définir. Je ne sais si j'ai de la fièvre, comme il me semble, ou bien si j'ai cessé de subir cette fièvre d"être un dormeur de la vie. Oui. je le répète, je suis comme un voyageur se retrouvant soudain dans une ville inconnue, sans savoir comment il y en parvenu ; et je pense à ces gens qui perdent la
mémoire, et qui deviennent un autre pendant très longtemps. J'ai été moi-même un autre pendant très longtemps - depuis ma naissance. depuis la conscience - et je me réveille aujourd'hui au beau milieu d'un pont, penché sur le fleuve, et sachant que j'existe plus fermement que tout ce que j'ai été jusqu'à maintenant. Mais la ville m'est étrangère, les rues me sont inconnues, « le mal est sans remède. Donc, j"attends, penché sur le pont, que la vérité me quitte, pour me laisser le nouveau
nul et fictif, intelligent et naturel.
Ce n'a été qu'un instant. déjà passé. Je vois de nouveau les meubles qui m'entourent, les dessins du vieux papier sur les murs, le soleil à travers les vitres poussiéreuses. J'ai vu la vérité un instant. J"ai été un instant, avec conscience, ce que sont les grands hommes avec la vie. J'évoque leurs paroles et leurs actes, et je me demande s'ils n'ont pas été, eux aussi, tentés victorieusement par le Démon de la Réalité. S'ignorer soi-même, c'est vivre. Se connaître mal soi-même, c'est penser. Mais se
connaître, d,un seul coup, comme en cet instant lustral, c'est avoir soudain la notion de La monade intime. de la parole magique de l'âme. Mais une clarté subite brûle tout, consume tout. Elle nous laisse nus, et de notre être même. Ce n'a été qu'un instant, et je me suis vu. Ensuite je ne saurais pas
même dire ce que j'ai été. Finalement j'ai sommeil, car, je ne sais pourquoi, il me semble que le sens de tout ça, c'est dormir.





mercredi 3 février 2016

La Voute nocturne

LUI : Il me semble que nous nous sommes rencontrés quelque part… 
ELLE : Qu’est-ce que tu dis ?  

 À vrai dire, elle le demande parce que cela se fait, quand
quelqu’un vous a parlé, et qu’on n’a pas entendu distinctement
ses paroles. Mais ni Lui ni Elle n’ont réellement pris cela pour
une question. D’ailleurs, s’il fallait s’expliquer sur ce qu’on dit,
on n’en finirait pas. Et puis au fond, Elle, cela ne l’intéresse pas.
Est-ce qu’on pose des questions à la radio ? Justement, bien que
personne ne l’ait touchée, la radio élève la voix :  

 LA RADIO : Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne…   

Voilà : ça c’est parlé. Si je pouvais, comme on respire, dire des
phrases dans ce genre, peut-être la conversation serait-elle possible… Il est vrai qu’on n’a jamais su ce qu’elle lui a répondu, à Baudelaire, la femme. Quelque chose qui ne vous détruirait pas
ladite voûte. Probablement rien. C’est en cela qu’elles sont fortes, le silence. Nous, on parle. Parce que, si on se tait, on a l’air fin. Si je pouvais seulement trouver les mots pour sa robe, et comme
elle y est dedans. Mais tout a l’air si bête… Lui, allait dire quelque chose, quand il a remarqué que ce
silence, qu’il était sur le point de rompre, était plein de cigales. Est-ce que ce sont mes oreilles ? Il appuie dessus, cela ne change rien. Ce léger crissement qui emplit tout l’espace, bien entendu
n’existe pas pour de vrai. C’est simplement comme l’eau profonde, elle a des reflets et pourtant aucun objet ne s’y réfléchit. L’intensité du silence a ses reflets de cigales, voilà. Enfin, si vous pouvez
vous contenter de cette explication.

ELSA