mercredi 3 février 2016

La Voute nocturne

LUI : Il me semble que nous nous sommes rencontrés quelque part… 
ELLE : Qu’est-ce que tu dis ?  

 À vrai dire, elle le demande parce que cela se fait, quand
quelqu’un vous a parlé, et qu’on n’a pas entendu distinctement
ses paroles. Mais ni Lui ni Elle n’ont réellement pris cela pour
une question. D’ailleurs, s’il fallait s’expliquer sur ce qu’on dit,
on n’en finirait pas. Et puis au fond, Elle, cela ne l’intéresse pas.
Est-ce qu’on pose des questions à la radio ? Justement, bien que
personne ne l’ait touchée, la radio élève la voix :  

 LA RADIO : Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne…   

Voilà : ça c’est parlé. Si je pouvais, comme on respire, dire des
phrases dans ce genre, peut-être la conversation serait-elle possible… Il est vrai qu’on n’a jamais su ce qu’elle lui a répondu, à Baudelaire, la femme. Quelque chose qui ne vous détruirait pas
ladite voûte. Probablement rien. C’est en cela qu’elles sont fortes, le silence. Nous, on parle. Parce que, si on se tait, on a l’air fin. Si je pouvais seulement trouver les mots pour sa robe, et comme
elle y est dedans. Mais tout a l’air si bête… Lui, allait dire quelque chose, quand il a remarqué que ce
silence, qu’il était sur le point de rompre, était plein de cigales. Est-ce que ce sont mes oreilles ? Il appuie dessus, cela ne change rien. Ce léger crissement qui emplit tout l’espace, bien entendu
n’existe pas pour de vrai. C’est simplement comme l’eau profonde, elle a des reflets et pourtant aucun objet ne s’y réfléchit. L’intensité du silence a ses reflets de cigales, voilà. Enfin, si vous pouvez
vous contenter de cette explication.

ELSA