Nous veillons donc à régler le volume suffisamment fort pour qu'on entende la musique loin dans la nuit, qu'elle monte jusqu'au ciel ou atteigne ce lieu que nous rejoindrons tous à notre heure dernière, cet instant où les arbres cesseront de pousser, les morts d'être entendus, la pluie de tomber, le soleil de briller et où la terre n'aura plus d'odeur. Ce moment où tout prend fin d'une manière qui échappe à notre entendement, et que nous n'osons pas, mais devons sans doute constamment nous efforcer de comprendre, sans relâche ni hésitation, parce que si nous renonçons à atteindre ce qui est justement hors d'atteinte de la vie, alors nous trahissons, et cette trahison est si radicale qu'aucune force ni puissance ne saurait l'effacer.
mercredi 23 septembre 2015
lundi 21 septembre 2015
Entre ciel et terre
Libellés :
Jón Kalman Stefánsson
Les montagnes en surplomb dominent la vie, la mort ainsi que ces maisons blotties sur la langue de terre. Nous
vivons au fond d’une cuvette : le jour s’écoule, le soir se pose ; elle s’emplit lentement de ténèbres, puis les étoiles
s’allument au-dessus de nos têtes où elles scintillent éternellement, comme porteuses d’un message urgent, mais
lequel et de qui ? Que veulent-elles de nous et peut-être surtout : que voulons-nous d’elles ?
Peu de vestiges évoquent à présent en nous la lumière. Nous sommes nettement plus proches des ténèbres, nous
ne sommes pour ainsi dire que ténèbres, tout ce qui nous reste, ce sont les souvenirs et aussi l’espoir qui s’est
pourtant af adi, qui continue de pâlir et ressemblera bientôt à une étoile éteinte, à un bloc de roche lugubre.
Pourtant, nous savons quelques petits riens à propos de la vie et quelques petits riens à propos de la mort : nous
avons parcouru tout ce chemin pour te ravir et remuer le destin
samedi 19 septembre 2015
Moi maintenant
Libellés :
Jorge Guillén
Moi. Moi ici. Moi maintenant.
S’éveiller, être, exister :
de nouveau l’alliance prodigieuse.
Mon être se confirme
en son dedans. Je suis.
Moi : somnolence heureuse
douceur de poursuivre encore
et de persévérer.
Nul bonheur
n’est plus grand que cette concordance
de l’être avec l’être. Maintenant,
sans même un éclat. Et la vie
s’enracine
au-dedans de sa profondeur nécessaire
mercredi 9 septembre 2015
La septième fonction du langage
Libellés :
Laurent Binet
La place des textes est dans les manuels scolaires. Il n’y a de vérité que dans les métamorphoses du discours, et l’oral seul est suffisamment réactif pour rendre compte à vitesse réelle du cours éternel de la pensée en marche. L’oral, c’est la vie : je le prouve, nous le prouvons, rassemblés aujourd’hui pour parler et pour écouter, pour échanger, pour discuter, pour contester, pour créer ensemble de la pensée vivante, pour communier dans le mot et l’idée, animés par les forces de la dialectique, vibrant de cette vibration sonore qu’on appelle la parole et dont l’écrit n’est somme toute que le pâle symbole : ce que la partition est à la musique, rien de plus.
Entre vos mains, ma gente dame
Libellés :
Dantes
Entre vos mains, ma gente dame,
je remets cet esprit qui se meurt :
il s'en va si dolent qu'Amour le regarde
avec pitié quand il le congédie.
Vous l'avez lié à sa domination
si bien qu'il n'a plus aucune force
pour l'invoquer sinon pour dire : « Seigneur,
tout ce que tu veux de moi, je le veux. »
Je sais que tout tort vous déplaît :
aussi la mort, que je n'ai pas méritée,
entre bien plus amère en mon cœur.
Ma douce dame, tant que je suis en vie,
afin que je meure en paix et consolé,
pour mes yeux daignez ne pas être avare.
lundi 7 septembre 2015
Les mémoires courtes 53)
Libellés :
Patrick Chemin
Il penche le monde
Il est penché.
Les fenêtres
Les murs
La raison d’être
Tout est penché.
Les jeunes filles
S’épanchent
Auprès de leurs
Fiancés.
Les portes
Penchent
Les noyés.
Il penche le monde
Il est penché
Peut-être
Qu’il va tomber.
Nous aurons
L’air malin
Allongés
Dans le rien
La caresse creuse
Le visage affadi.
Allongé
L’écharpe
De l’univers
Autour du cou
Il penche le monde.
samedi 5 septembre 2015
La clairière du coeur
Libellés :
Juan Matus
Alors, vous allez m’enseigner ?
Non !
Parce que je ne suis pas un Indien ?
Non. Parce que tu ne connais pas ton cœur.
L’important est que tu détermines précisément le pourquoi de ton désir.
Un homme va à la connaissance comme il part pour la guerre, avec lucidité, crainte,
respect et une ferme assurance.
vendredi 4 septembre 2015
Nexus
Libellés :
Henri Miller
C'était toujours la porte appelée Mort qui s'ouvrait à toute volée, et je voyais qu'il n'y avait de morts, pas plus que de juges ou de bourreaux, que dans notre imagination. Comme je m'efforçais, désespérément, de rendre gorge ! Et je rendais gorge. Je rendais tout. Un rajah qui se dépouille de tout. Nu comme un ver. Ne possédant plus qu'un ego, mais un ego enflé et boursouflé comme un crapaud hideux. Alors, l'insanité totale de tout cela me submergeait. On ne peut se débarrasser de rien ; rien n'a été ajouté ou retranché ; rien n'a augmenté ou diminué.
Nous nous tenons sur le même rivage devant le même océan,
la même immensité. L'océan de l'amour. Il est là... in perpetuum. Autant dans une fleur brisée, le bruit d'une cascade ou le vautour qui fond sur une charogne que dans l'artillerie tonnante du prophète. Nous avançons les yeux fermés, les oreilles bouchées ; nous nous frappons la tête contre les murs alors que des portes sont prêtes à s'ouvrir au moindre contact ; nous cherchons à tâtons des échelles, oubliant que nous avons des ailes ; nous prions comme si Dieu était sourd et aveugle, comme
s'il était perdu au fond de l'immensité des espaces. Pas étonnant si nous ne reconnaissons pas les anges quand ils passent près de nous. Un jour, ce sera amusant de se rappeler tout ça.
Tristesse d'un petit ange
*Maintenant, il ferait bon dormir jusqu’à ce que les rêves deviennent un ciel, un ciel calme et sans* *vent où quelques plumes d’ange virevoltent doucement, où il n’y a rien que la félicité de celui qui vit* *dans l’ignorance de soi. Mais le sommeil fuit les défunts. Lorsque nous fermons nos yeux fixes, ce sont les souvenirs qui nous sollicitent à sa place. Ils arrivent d’abord isolés, parfois d’une beauté* *argentée, mais ne tardent pas à se muer en une averse de neige étouffante et sombre
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