Le vertige, c’est autre chose que la peur de tomber. C’est la voix du vide au-dessous de nous qui nous attire et nous envoûte, le désir de chute dont nous nous défendons ensuite avec effroi. Avoir le vertige c’est être ivre de sa propre faiblesse. On a conscience de sa faiblesse et on ne veut pas lui résister, mais s’y abandonner. On se soûle de sa propre faiblesse, on veut être plus faible encore, on veut s’écrouler en pleine rue aux yeux de tous, on veut être à terre, encore plus bas que terre.
vendredi 30 octobre 2015
mercredi 28 octobre 2015
la femme mystérieuse
Libellés :
Didier Blmonde
Est-ce l’éclat sombre de la passion ou celui de la folie qui brille au fond de ses yeux ? Deux grands yeux maquillés d’un cerne ténébreux, aux prunelles hypnotiques, qui me fixent, me fascinent, m’attirent irrésistiblement, comme une phalène. Des yeux si larges, brouillés de fièvre, en noir et blanc. Et cette imperceptible ironie sur ses lèvres.
Ses épaules insolentes sont nues et sa poitrine, découverte, se perd dans l’ombre. Peau blanche, veloutée, sensuelle, peluchée par le temps, qui s’étale sous les feux de la rampe. Coiffée d’un turban, elle porte les cheveux courts, à la garçonne, noirs, c’est une scandaleuse des Années folles. Quel âge a-t-elle ? Une trentaine d’années peut-être. Le grain de beauté piqué sur sa pommette accroche mon regard. Sa main droite aux longs doigts passés dans un collier à double rang est fléchie et reste suspendue en l’air dans un geste machinal de désœuvrement — ou de coquetterie. Un geste inachevé, d’une nonchalance calculée, faussement désinvolte, qui me fait signe, par en dessous. Elle joue. Provoque. S’offre, et se retire. Masquée. Elle m’arrête au passage. Racolage nocturne dans les allées d’un cimetière. Rendez-vous clandestin. Pour quelle cérémonie secrète ? Bientôt elle s’évanouira comme un reflet en faux jour que j’aurais cru voir. Son regard ardent dérange le rituel et l’ordre des morts. Les autres à ses côtés, figés dans leur médaillon et leurs décorations, graves, corsetés, endimanchés, ont des têtes de condamnés. Elle seule est vivante, tellement présente, au milieu de ce défilé funèbre
lundi 26 octobre 2015
Mémoire d'Hadrien
Libellés :
Marguerite Yourcenar
quand on aura allégé le plus possible les servitudes inutiles, évité les malheurs non nécessaires, il restera toujours, pour tenir en haleine les vertus héroïques de l'homme, la longue série de maux véritables : la mort, la vieillesse, les maladies non guérissables, l'amour non partagé, l'amitié rejetée ou trahie, la médiocrité d'une vie moins vaste que nos projets et plus terne que nos songes : tous les malheurs causés par la divine nature des choses
dimanche 25 octobre 2015
La musique
Libellés :
John McLaughlin
Il faut pousser toujours plus loin dans le sens d’une élévation. Plus je grandis spirituellement, meilleure est ma musique. La musique nous ouvre sur l’éternel. C’est pourquoi chacun l’aime. Elle est un langage de l’au-delà, et non des normes terrestres, pleines d’imperfections et de frustrations. Elle est la respiration du divin venu de l’au-delà. Elle est la beauté et nous met face à notre propre
samedi 24 octobre 2015
La Folle allure
Libellés :
Christian Bobin
La légèreté, elle est partout, dans l’insolente fraîcheur des pluies d’été, sur les ailes d’un livre abandonné au bas d’un lit, dans la rumeur des cloches d’un monastère à l’heure des offices, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré comme on mâche un brin d'herbe, dans la fée d’une lumière au détour d’un virage sur les routes serpentines du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer lentement les volets le soir, dans une fine touche de bleu, bleu pale, bleu-violet, sur les paupières d’un nouveau-né, dans la douceur d’ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l’instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant au sol et dans la maladresse d’un chien glissant sur un étang gelé, j’arrête là, la légèreté, vous voyez bien, elle est partout donnée.
vendredi 23 octobre 2015
Soufi mon amour
Libellés :
Elif Shafak
Vois-tu mon Amie, j'ai traversé le temps et ses incertitudes.
J'ai appris que je n'étais qu'une pensée, une lumière balbutiante, un frémissement imperceptible, un léger battement d'aile, un doux murmure, une âme errante et seule, perdue dans l'entrelacs incertain de ces millions de fils invisibles que constitue le monde...
J'ai appris, lorsque, commandé par la fougue d'une jeunesse impétueuse, je suis parti en quête de cette moitié de moi, pour former un Tout qui ne fût jamais...
Ainsi va la vie des Hommes. À toujours chercher ce qu'il nous manque, nous refusons de voir la nature même de ce qui fait notre beauté, notre différence, notre unicité...
Nous fûmes,
Nous sommes,
Nous serons toujours des œuvres inachevées....
samedi 17 octobre 2015
La nuit de Feu
Libellés :
Eric-Emmanuel Schmitt
Ma conception du voyage avait changé : la destination importe moins que l'abandon. Partir, ce n'est pas chercher, c'est tout quitter, proches, voisins, habitudes, désirs, opinions, soi-même. Partir n'a d'autre but que de se livrer à l'inconnu, à l'imprévu, à l'infinité des possibles, voire même à l'impossible. Partir consiste à perdre ses repères, la maîtrise, l'illusion de savoir et à creuser en soi une disposition hospitalière qui permet à l'exceptionnel de surgir. Le véritable voyageur reste sans bagage et sans but.
mercredi 14 octobre 2015
Les feuilles mortes
Libellés :
Jacques prévert
Oh, je voudrais tant que tu te souviennes,
Des jours heureux quand nous étions amis,
Dans ce temps là, la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Tu vois je n'ai pas oublié.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi,
Et le vent du nord les emporte,
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois, je n'ai pas oublié,
La chanson que tu me chantais.
C'est une chanson, qui nous ressemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Nous vivions, tous les deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Et la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit.
Et la mer efface sur le sable,
Les pas des amants désunis.
Nous vivions, tous les deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Et la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit.
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis...
De la beauté
Libellés :
Jean d'ormesson
Comme le mal, personne n'en doute, la beauté est en nous. Elle est dans l'œil qui regarde, dans l'oreille qui écoute autant que dans l'objet admiré. Mais entre lui et nous, il y a des liens obscurs et des rapports secrets. Souvent inattendue et souvent scandaleuse, la beauté, venue de nulle part, nous frappe au cœur avec une violence toujours neuve et toujours répétée. Elle est liée à l'amour. Elle est une promesse de bonheur. À la façon de la joie, elle est une nostalgie d'ailleurs. Elle n'est jamais où elle est. Elle change avec les cultures. Elle évolue avec les époques. Elle varie selon les individus. Elle ne cesse jamais de prendre des formes nouvelles. Elle passe. Et elle renaît.
La beauté est un secret que tout le monde a connu. Elle est très loin d'être recherchée et admirée sans réserve. Les gens sérieux en parlent avec dédain et légèreté. Tout un pan de l'art moderne se moque bien de la beauté et se vanterait plutôt, pour une raison ou pour une autre, de l'ignorer et de la mépriser. Les fous, les grands naïfs, les amants, les poètes attardés, les mathématiciens surtout la cultivent et la vénèrent. Elle est l'espérance même. Elle donne envie de vivre.
Il arrive à des êtres vivants d'être ineptes et très beaux. Il arrive aussi à des femmes laides et à des hommes en dessous du médiocre de rayonner soudain de beauté. Les saints sont toujours beaux. La bonté est belle. Et la vérité, qui peut être si triste, est toujours la beauté même.
lundi 12 octobre 2015
VENT ET NUIT
Libellés :
Octavio Paz
Heure de vent,
nuit contre la nuit,
ici, dans ma nuit.
Le vent taureau
court , s’arrête, tourne,
va quelque part?
Vent sombre :
dans les entrecroisements
se brise l’âme.
Comme moi-même,
accumulation colère
sans dénouement.
Où suis-je ?
Le vent vient et va.
Ni ici ni là.
Miroir aveugle.
Le noir me va si bien
dimanche 11 octobre 2015
Les mémoires courtes 66
Libellés :
Patrick Chemin
Monsieur l’automne
Souffle
Sur les voyelles
Distribue les consonnes.
Des lettres
De pluie
Des lettres
Pour les jours
De gris
Des châles soyeux
Pour la brume
Et la mélancolie.
Monsieur l’automne
Souffle aussi
Sur les voyelles
Pour la joliesse
Des après-midi.
Devient le guide
Du Palais du pourpre
Où des faunes
S’abandonnent
Dans l’orangé
Le jaune.
Monsieur l’automne
Dans son manteau
Rouge
Est un parent proche
Du givre.
Mais il tient
De l’été
Les dernières
Lumières
La piété
Des lisières.
samedi 10 octobre 2015
Demande à la poussière
Libellés :
john Fante
Il y aura moultes confusions,il y aura une solitude que seules mes larmes pourront consoler comme autant de petit oiseaux mouillés tombant pour soulager mes lèvres sèches. Mais il y aura aussi parfois consolation et beauté,beauté comme l'amour d'une fille disparue. Il y aura des rires,mais avec beaucoup de tenue le rire,et on attendra tranquillement dans la nuit,et on aura doucement peur de la nuit comme d'un prodigue et taquin baiser de mort. Ensuite,il fera nuit,et les huiles douces en provenance des rivages de ma naissance seront versées sur tous mes sens par les capitaines que j'ai abandonnés dans mes impétueux rêves de jeunesse. Mais il me sera pardonné quand je retournerai à la terre d'où je viens, au bord de la mer.
samedi 3 octobre 2015
Fragments Verticaux
Libellés :
Roberto Juarroz
Il n'y a pas de retour. La vie a pourtant des inversions qui renversent le sens du voyage. Des fleurs qui renouvellent leur floraison comme si elles cherchaient les visages de l'origine. Des regards qui se font circulaires comme s'ils poursuivaient l'extrémité du regard d'hier. Des pensées qui altèrent leurs voeux et soudain prennent en charge l'enfance de la pensée. Des mots qui séparent leurs lettres comme s'ils souhaitaient les unir différemment. Il n'y a pas de retour, mais toute chose vit en se palpant le dos, en marchant de dos, en se rêvant le dos, et en essayant de comprendre le dos d'autrui.
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