Est-ce l’éclat sombre de la passion ou celui de la folie qui brille au fond de ses yeux ? Deux grands yeux maquillés d’un cerne ténébreux, aux prunelles hypnotiques, qui me fixent, me fascinent, m’attirent irrésistiblement, comme une phalène. Des yeux si larges, brouillés de fièvre, en noir et blanc. Et cette imperceptible ironie sur ses lèvres.
Ses épaules insolentes sont nues et sa poitrine, découverte, se perd dans l’ombre. Peau blanche, veloutée, sensuelle, peluchée par le temps, qui s’étale sous les feux de la rampe. Coiffée d’un turban, elle porte les cheveux courts, à la garçonne, noirs, c’est une scandaleuse des Années folles. Quel âge a-t-elle ? Une trentaine d’années peut-être. Le grain de beauté piqué sur sa pommette accroche mon regard. Sa main droite aux longs doigts passés dans un collier à double rang est fléchie et reste suspendue en l’air dans un geste machinal de désœuvrement — ou de coquetterie. Un geste inachevé, d’une nonchalance calculée, faussement désinvolte, qui me fait signe, par en dessous. Elle joue. Provoque. S’offre, et se retire. Masquée. Elle m’arrête au passage. Racolage nocturne dans les allées d’un cimetière. Rendez-vous clandestin. Pour quelle cérémonie secrète ? Bientôt elle s’évanouira comme un reflet en faux jour que j’aurais cru voir. Son regard ardent dérange le rituel et l’ordre des morts. Les autres à ses côtés, figés dans leur médaillon et leurs décorations, graves, corsetés, endimanchés, ont des têtes de condamnés. Elle seule est vivante, tellement présente, au milieu de ce défilé funèbre