dimanche 5 mars 2017

Sur mon visage

J'ai l'intention d'écrire "sur mon visage" quelque chose de central et de très beau. Ce sera plus simple et plus doux qu'une main de femme, la nuit, qui suit avec grand'pitié la ligne douloureuse de la figure humaine. Et cependant ceux qui le liront s'étonneront d'une odeur de pourriture et de scandale. Pour décrire les différents visages de mon âme, il faudra que Celle qui parle de mon visage, ose imaginer les masques de mon agonie à venir, il lui faudra penser à ce hoquet sanglant qui marque enfin la délivrance et le départ de l'âme : alors seulement seront évoqués les étranges paradis perdus dont je suis l'habitant".
(Correspondance Jacques Rivière-Alain-Fournier, 18 juin 1909).



mercredi 1 février 2017

Ombre

Ombre. Le chemin de la vie va d’est en ouest. L’enfant marche le dos au soleil levant. Malgré sa petite taille, une ombre immense le précède. C’est son avenir, caverne à la fois béante et écrasée, pleine de promesses et de menaces, vers laquelle il se dirige, obéissant à ce qu’on appelle justement ses « aspirations ».

   À midi, le soleil se trouvant au zénith, l’ombre s’est entièrement résorbée sous les pieds de l’adulte. L’homme accompli s’absorbe dans les urgences du moment. Son avenir ne l’attire ni ne l’inquiète. Son passé n’alourdit pas encore sa marche. Il ignore la nostalgie des années défuntes, comme l’appréhension du lendemain. Il fait confiance au présent, son contemporain, son ami, son frère.

   Mais le soleil basculant vers l’occident, l’ombre de l’homme mûr naît et croît derrière lui. Il traîne désormais à ses pieds un poids de souvenirs de plus en plus lourd, l’ombre de tous ceux qu’il a aimés et perdus s’ajoutant à la sienne. D’ailleurs, il avance de plus en plus lentement, et s’amenuise à mesure que grandit son passé. Un jour vient où l’ombre pèse au point que l’homme doit s’arrêter. Alors il disparaît. Il devient tout entier une ombre, livrée sans merci aux vivants.


mardi 31 janvier 2017

fin au dialogue

Je vous rejette tous 

Et je mets fin au dialogue 
Je n'ai plus rien à dire 
J'ai fait un autodafé 
De mes dictionnaires et de mes effets, 
J'ai fui la poésie antique 
Et la rime en “r” du long poème de Farazdak, 
J'ai émigré de ma voix 
J'ai émigré des cités du sel amer 
Et des poèmes de poterie peinte. 
J'ai apporté mes arbres à votre désert 
De désespoir les arbres se sont suicidés; 
J'ai apporté ma pluie à votre sécheresse 
La pluie s'est retenue de tomber ; 
J'ai planté mes poèmes dans vos matrices 
Ils se sont étouffés. 
O matrice, porteuse de poussière et d'épines!