jeudi 1 décembre 2016

L'homme joie

On peut traverser la mort à gué avec un seul poème en poche. Lire, écrire, aimer, sainte trilogie. Le poème, un cercle de silence aux pierres brûlantes. Le monde, un froid qui gagne jusqu'aux étoiles. Vers deux heures du matin les reines meurent et je m'émerveille de leur cri. «Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir. » Le monde ignore l'illumination de ce cri. Ce sont les morts qui allument les lampes de la vie.




vendredi 9 septembre 2016

Nu dans ton bain face à l’abîme

Écris sur ce monde, peu importe sur quoi d’autre tu écris, un monde dominé par des rêves morts. Marque l’absence d’Espoir, de Croyance, d’Engagement, de Sérieux ampoulé. Marque le passé avec lequel nous avons rompu et l’avenir qui nous détruira. Écris sur une sorte d’espoir qui fut jadis possible comme Littérature, comme Politique, comme Vie, mais qui n’est plus possible pour nous.
Marque ton sentiment d’imposture. Tu n’es pas un Auteur, pas dans le vieux sens du mot. Tu n’as pas vraiment écrit un Livre, pas un Vrai Livre. Tu n’appartiens à aucune tradition, aucun mouvement, aucune avant-garde. Il n’y a rien en jeu pour toi dans la Littérature, pas vraiment, malgré toutes tes simagrées de dément. De plus, très peu de gens lisent en fait ; marque aussi ce fait. Personne ne lit, espèce d’idiot ! Il y a plus de romanciers que de lecteurs. Il y a bien trop de livres…
Marque ta mélancolie. Marque le fait que la fin est proche. La fête est finie. Les étoiles disparaissent et le ciel noir ne prête pas attention à toi ni à toutes tes âneries. Tu es avec les personnages de Bolaño, à la fin de leur quête, perdu dans le désert de Sonora, et c’est la fin de toutes les quêtes. Tu dessines des croquis stupides pour passer le temps dans le désert. La voilà, ton œuvre : dessiner des croquis stupides pour passer le temps dans le désert.
Ne sois pas généreux et ne sois pas gentil. Ridiculise-toi et ridiculise ce que tu fais. Art sauvage, comme le cannibale que tu es. Souviens-toi de ceci : c’est seulement quand la chose est morte, que des millions de corbeaux l’ont dévorée, que les chacals l’ont rongée, qu’on lui a craché dessus avant de l’oublier, que nous pouvons découvrir le dernier os inviolé




jeudi 4 août 2016

Le pélérin

Sans me comprendre, sans oser m’interpréter, j’ai arrêté mon esprit. Les idées m’avaient comme déserté. J’étais dans un désert à l’intérieur de moi.
Et soudain, mes yeux se tournèrent vers le passé, vers le début du voyage, vers le sentiment inquiet qui m’y avait conduit, vers le destin obscur qui me l’avait mis dans l’âme. En un instant aux multiples pensées, je me suis souvenu.
Je me suis dirigé à nouveau vers le passé perdu, vers cet instant où, du mur du domaine, j’avais vu apparaître l’Homme en noir. En mon for intérieur je me suis répété, une fois encore, ses mots, avec sa voix :
— Ne fixe pas la route ; suis-la jusqu’au bout.
Et, pour la première fois, mais comme si je ne l’avais pas oubliée, j’entendis, d’abord le ton, puis les termes, de ma réponse négative :
— Pas encore ; je ne partirai que lorsque je sentirai le mal qu’il y a à s’arrêter.
Et je m’étais arrêté ! Combien de jours, et avec quelle joie, m’étais-je arrêté ! Pauvre de moi ! Je m’étais arrêté parce que j’aimais, parce que je désirais, parce que je voulais. Mais qu’est-ce que c’était qu’aimer, désirer, vouloir, sinon s’arrêter [du moins dans le désir du chemin ?. Je m’étais arrêté parce que j’aimais ? Mais pourquoi me serais-je arrêté, si je n’avais pas eu une raison pour m’arrêter ? Une figure qui m’enchantait, me retenait ? Qu’est-ce que c’était que retenir sinon ne pas laisser continuer ? Et qu’est-ce que c’était qu’enchanter sinon arrêter ?
Pendant un instant encore je me suis écouté souffrir, et il me sembla que j’avais l’esprit privé de facultés – sinon celle de m’angoisser. Un instant j’ai hésité encore. Puis,  j’ai décidé de partir. Je ne saurais dire, personne ne saurait dire à ma place, 14 ce que le départ m’a coûté. Mais j’ai décidé de partir, de m’en aller, de continuer sur-le-champ. J’ai mis sur mon épaule mon ballot de voyageur. Il était léger parce que seule était lourde l’angoisse, la seule chose que je sentais. Pleurant tout haut dans mon sang et dans ma vie, je suis parti. Je suis parti en courant, en pleine nuit, j’ai fui comme un fou furieux, comme si j’avais voulu aller au-delà de moi, ou laisser mon ombre derrière moi. J’ai couru, j’ai couru, j’ai couru, j’avais l’impression que le temps était figé, que je ne bougeais pas, que j’étais arrêté, enchaîné dans la cellule étroite de ma souffrance.

Mais je suis parti. L’âme sèche, dure, achevée.
Et centrée au fond, comme une fine goutte de rosée, dormait je ne sais quelle vague joie d’une grande libération.
J’ai franchi, en pleurant, la porte extrême de la ville.
Devant moi, fleuve gelé sous le clair de lune froid, la route s’allongeait indéfiniment.






mardi 2 août 2016

Poteaux d'angles

On a besoin d’idées fausses ; la très grande idée fausse est dynamogène et comme telle convient.
 L’écart entre le réel et l’illusoire, plus il est grand, plus il suscite et nécessite de l’ardeur, plus elle est attendue.
 Dans la mesure où l’idée, la doctrine est utopique (mais qui serait si commode, excellente, satisfaisante et salutaire si elle n’était fausse et inapplicable ou mythique), elle oblige à l’élan… Les disciples afflueront, réchauffés, chaleureux qui lui sacrifieront esprit, autonomie, existence.
 Chaque époque a sa croyance broyeuse, large mouvement d’esprit, fait de plusieurs.
 Le temps pour beaucoup est long à passer dans l’attente d’une autre onde à la prometteuse rénovation. Enfin elle arrive et le cycle reprend.



mardi 5 juillet 2016

Cycle des Dieux

Je lis les journaux.
Ils évoquent des sujets habituels : guerres, meurtres, viols, grèves, prises d'otages, terrorisme, pédophilie, pollution. Côté culture : nombrilisme et abstraction. Côté politique : promesses, démagogies et phrases creuses qui veulent tout et rien dire. Seule la rubrique des sports affiche les visages hilares d'éphèbes milliardaires recouverts de logos de leurs sponsors, au grand ravissement des foules qui les idolâtrent parce qu'ils savent déplacer des balles ou des ballon. Partout le triomphe du mensonge, l'apologie de la bêtise, la victoire facile des cyniques sur les derniers bastions de l'intelligence qui résistent d'autant plus difficilement qu'ils sont divisés. Le troupeau hébété est nourri de son foin insipide et en redemande avec ferveur.




dimanche 3 juillet 2016

L'ETERNITE N'EST PAS DE TROP



Seul à présent, il s'adosse au vieux pin, cale son dos dans le creux du tronc. Quoique respirant péniblement, il se ressaisit. Une fois encore, une fois de plus, il pose son regard sur la vallée, aussi loin que possible, là, à l'extrémité, où semble s'élever une fumée bleue. C'est l'heure où l'après-midi commence.  A travers la senteur des conifères et le bourdonnement des abeilles, la saison relance son cycle de nouvelles promesses.  Entre ciel et terre, entre les nuages qui voguent et les collines qui moutonnent circule sans faille le souffle rythmique, que les aigles planant haut traduisent en de superbes arabesques.  Une ultime et suprême lucidité lui revient: « Ah! toujours ce monde foisonnant, bigarré, avec sa magnificence étalée.  Pourtant, on vient dans ce monde pour un seul visage.  Ce visage, une fois vu, ne peut plus être oublié.  Sans ce visage, le monde foisonnant, n'est-ce pas, ne prend pas durablement saveur ni sens.  Alors qu'avec le regard et la voix qui en émanent, tout prend àjamais saveur et sens.  Oui, sans l'être aimé, tout se disperse, avec l'être aimé, tout se retrouve.  En cette vie, en l'autre vie, tant que la vie est vie... »
Un nouveau vertige vient le frapper, en plein front, sans concession cette fois.  Sentant son corps le lâcher telle une dépouille, il ferme les yeux, sans doute pour ne plus les rouvrir.  A cet instant précis, éclôt son troisième œil, celui de la Sapience, qui à sa place dévisage l'infini et proclame d'une voix ferme: « Lan-ying, nous voilà ensemble.  Bien sûr, nous le sommes depuis longtemps, mais il s'y mêlait encore, comme malgré nous, tant de troubles, de craintes, de blessures, de scories, de fausses joies, de vrais remords.  Maintenant nous entrons dans le mystère du pur jaillissement, du  pur échange.  Il a fallu pour cela traverser le tout.  Nous avons appris à être ensemble, nous aurons à vivre ce qui est appris, indéfiniment, tout chagrin lavé, toute nostalgie bue. L'éternité n'est pas de trop. Je viens ! ».
De ce vaste monde-ci Dao-sheng n'entend probablement plus rien, n'a plus besoin d'entendre. Pourtant une voix monte encore de la vallée ; c'est celle du fidèle Gan-er. Il crie :
Maître, le messager qui vient du couvent est là. Nous montons !


dimanche 22 mai 2016

Van Gogh le suicidé de la société

Décrire un tableau de Van Gogh, à quoi bon ! Nulle description tentée par un autre ne pourra valoir le simple alignement d'objets naturels et de teintes auquel se livre Van Gogh lui-même.
aussi grand écrivain que grand peintre et qui donne à propos de l'oeuvre décrite l'impression de la plus abasourdissante authenticité.
8 septembre 1888
"Dans mon tableau de Café de nuit, j'ai cherché à exprimer que le café est un endroit où l'on peut se ruiner, devenir fou, commettre des crimes. Enfin j'ai chercher par des contrastes de rose tendre et de rouge sang et lie-de-vin, de doux vert Louis XV et Véronèse, contrastant avec les vert-jaune et les vert-bleu durs, tout cela dans une atmosphère de fournaise infernale, de soufre pâle, à exprimer comme la puissance des ténèbres d'un assommoir.
Et toutefois sous une apparence de gaieté japonaise et la bonhomie du Tartarin..." 

Je ne décrirai donc pas un tableau de Van Gogh après Van Gogh, mais je dirai que Van Gogh est peintre parce qu'il a recollecté la nature, qu'il l'a comme retranspirée et fait suer, qu'il a fait gicler en faisceaux sur ses toiles, en gerbes comme monumentales de couleurs, le séculaire concassement d'éléments, l'épouvantable pression élémentaire d'apostrophes, de stries, de virgules, de barres dont on ne peut plus croire après lui que les aspects naturels ne soient faits. 


Café de nuit -Van Gogh



lundi 28 mars 2016

Le chemin de la Vie


Tu n'aimerais pas etre heureux sur tous les plans ....? Ne pas avoir à dire oui quand ça ne te fait pas plaisir... ? Sentir que c'est toi qui contrôles la vie au lieu de te laisser entraîner par elle ,assis dans le wagon 23...?Veux-tu ?(.....)
-Primo ,rappelle toi qu'aimer a plus de valeur qu’être aimé
Aimer ,ça s’arrête le monde et ça les fait bouger. Si on t'aime et que tu n'aimes pas, tu finis par t'engourdir.(.....)
"Ce qui nous plait n'indique pas le chemin a prendre,pas plus que ce qui nous plait pas...
Parfois ,ce qui oriente ,c'est ce qui ne nous passionne pas, ce qu'on ne déteste pas non plus.
"Comprends-moi...Tu dois avoir confiance en toi ,pas en ce que tu crois aimer...La voie n'est pas tracée par ce qui te plait ,c'est toi qui la trace....





samedi 19 mars 2016

LES PEINTRES D’HORIZON


Aucun horizon n’est inaltérable. Immuable. Aucun horizon n’est inoxydable.
Car, aussi lointain qu’il paraisse, dans son aura de saphir flou et de givre cendré, l’horizon est constamment touché, heurté et griffé d’éraillures. Régulièrement, sous l’effet des tempêtes, sous l’effet des passions et des haines, corrodé par les rêves et les idées que l’on dit folles, l’horizon s’écaille, se délite et se lézarde.
Le mur d’horizon s’infecte d’acides, rouille et noircit. Il y a des horizons sanglants comme des taureaux. Des écharpes de lichens le rongent, le couvrent d’une peau d’écume charbonneuse. La fresque d’horizon pâlit, s’érode et se délave, tourne au linceul : il y a des horizons livides, aussi blafards que des visages de cadavres.
La ligne d’horizon se neige, s’effiloche, s’efface dans son pointillé, perd sa propre trace.
Or l’horizon est un bord, une frontière ultime, une limite indispensable et fatidique. Il sépare le monde d’un au-delà informe et chaotique, d’un magma de ténèbres fauve, d’un gouffre tel qu’aucun dieu ni monstre même n’y résiste. L’horizon barre le hors-monde, la virulence du néant, l’ailleurs ultraviolet de l’innommable. Pas question de laisser l’horizon se dégrader, se fissurer ici ou là ni surtout s’effondrer. Car tous les effondrements d’horizon ont précipité dans l’histoire l’enfer de leur désastre : des récits de ravages, de convulsions barbares et de calamités, des cicatrices de carnages, des récits de cataclysmes et de fracas. Des orages féroces suivis d’un immense silence, un silence de terres et de corps dévastés, un silence de mort, silence de la mort d’un monde.

Celui dont l’horizon un jour s’est écroulé connaît la cruauté de ce désastre.
Devant l’usure et la fissure d’horizon, on a recours à une corporation particulière : les peintres d’horizon. Ils scrutent le délabrement, les taches, l’écaillure, l’écorce d’ombre craquelée qui creuse l’horizon et le menace. Ils dressent les plans, ils tracent des croquis, chiffrent des dimensions, s’exercent à des encres et des lavis. On charge enfin le matériel. Les peintres partent vers les lieux. Car ils savent atteindre l’horizon, c’est leur mystère, le fonds d’une science hermétique, d’un savoir dont ils ne parlent jamais. Ils s’en tiennent au silence d’un très ancien sourire énigmatique.[....]

Ils se transmettent des talismans qui les protègent contre les vertiges d’aurore et contre les vertiges de
crépuscule


Port Manec'h - L'horizon 1
(Réf. 2014_010)

jeudi 3 mars 2016

La puissance de la joie

L’idéal de sagesse ainsi défini par les Anciens peut se résumer en un mot : l’autarkeia, l’« autonomie », c’est-à-dire la liberté intérieure qui ne fait plus dépendre notre bonheur ou notre malheur des circonstances extérieures. C’est elle qui nous apprend à nous réjouir de ce qui advient, l’agréable comme le désagréable – en ayant conscience que, bien souvent, l’agréable n’est qu’une perception, tout comme le désagréable. Le sage, lui, prend tout. Le bonheur qu’il recherche est un état qui se veut le plus global et le plus durable possible, à l’inverse de l’éphémère plaisir. Le sage sait qu’il abrite en lui la véritable source du bonheur. Cette histoire issue de la tradition soufie en est l’illustration :

   « Un vieil homme était assis à l’entrée d’une ville. Un étranger venu de loin s’approche et lui demande : “Je ne connais pas cette cité. Comment sont les gens qui vivent ici ?” Le vieil homme lui répond par une question : “Comment sont les habitants de la ville d’où tu viens ?” “Égoïstes et méchants, lui dit l’étranger. C’est pour cette raison que je suis parti.” “Tu trouveras les mêmes ici”, lui répond le vieillard. Un peu plus tard, un autre étranger s’approche du vieil homme. “Je viens de loin, lui dit-il. Dis-moi, comment sont les gens qui vivent ici ?” Le vieil homme lui répond : “Comment sont les habitants de la ville d’où tu viens ?” “Bons et accueillants, lui dit l’étranger. J’avais de nombreux amis, j’ai eu de la peine à les quitter.” Le vieil homme lui sourit : “Tu trouveras les mêmes ici.” Un vendeur de chameaux avait suivi les deux scènes de loin. Il s’approche du vieillard : “Comment peux-tu dire à ces deux étrangers deux choses opposées ?” Et le vieillard lui répond : “Parce que chacun porte son univers dans son cœur. Le regard que nous portons sur le monde n’est pas le monde lui-même, mais le monde tel que nous le percevons. Un homme heureux quelque part sera heureux partout. Un homme malheureux quelque part sera malheureux partout.” »

   Une telle conception du bonheur est aux antipodes de celle qui domine aujourd’hui dans les sociétés occidentales : on y vante sans cesse un pseudo-bonheur narcissique lié à l’apparence et au succès, on nous vend, à longueur de publicités, un « bonheur » se limitant en réalité à la satisfaction immédiate de nos besoins les plus égoïstes. On évoque des « moments de bonheur », alors que pour les philosophes et les sages, le bonheur ne peut être fugace, c’est un état durable, l’aboutissement d’un travail, d’une volonté, d’un effort. En fait, nous confondons plaisir et bonheur et nous sommes bien davantage en quête de plaisirs sans cesse renouvelés que d’un bonheur profond et durable




dimanche 14 février 2016

Fragments

Il est si difficile de décrire ce que l'on éprouve, lorsque l'on sent qu'on existe réellement et que notre âme est une entité réelle - si difficile que je ne sais avec quels mots humains je pourrais le définir. Je ne sais si j'ai de la fièvre, comme il me semble, ou bien si j'ai cessé de subir cette fièvre d"être un dormeur de la vie. Oui. je le répète, je suis comme un voyageur se retrouvant soudain dans une ville inconnue, sans savoir comment il y en parvenu ; et je pense à ces gens qui perdent la
mémoire, et qui deviennent un autre pendant très longtemps. J'ai été moi-même un autre pendant très longtemps - depuis ma naissance. depuis la conscience - et je me réveille aujourd'hui au beau milieu d'un pont, penché sur le fleuve, et sachant que j'existe plus fermement que tout ce que j'ai été jusqu'à maintenant. Mais la ville m'est étrangère, les rues me sont inconnues, « le mal est sans remède. Donc, j"attends, penché sur le pont, que la vérité me quitte, pour me laisser le nouveau
nul et fictif, intelligent et naturel.
Ce n'a été qu'un instant. déjà passé. Je vois de nouveau les meubles qui m'entourent, les dessins du vieux papier sur les murs, le soleil à travers les vitres poussiéreuses. J'ai vu la vérité un instant. J"ai été un instant, avec conscience, ce que sont les grands hommes avec la vie. J'évoque leurs paroles et leurs actes, et je me demande s'ils n'ont pas été, eux aussi, tentés victorieusement par le Démon de la Réalité. S'ignorer soi-même, c'est vivre. Se connaître mal soi-même, c'est penser. Mais se
connaître, d,un seul coup, comme en cet instant lustral, c'est avoir soudain la notion de La monade intime. de la parole magique de l'âme. Mais une clarté subite brûle tout, consume tout. Elle nous laisse nus, et de notre être même. Ce n'a été qu'un instant, et je me suis vu. Ensuite je ne saurais pas
même dire ce que j'ai été. Finalement j'ai sommeil, car, je ne sais pourquoi, il me semble que le sens de tout ça, c'est dormir.





mercredi 3 février 2016

La Voute nocturne

LUI : Il me semble que nous nous sommes rencontrés quelque part… 
ELLE : Qu’est-ce que tu dis ?  

 À vrai dire, elle le demande parce que cela se fait, quand
quelqu’un vous a parlé, et qu’on n’a pas entendu distinctement
ses paroles. Mais ni Lui ni Elle n’ont réellement pris cela pour
une question. D’ailleurs, s’il fallait s’expliquer sur ce qu’on dit,
on n’en finirait pas. Et puis au fond, Elle, cela ne l’intéresse pas.
Est-ce qu’on pose des questions à la radio ? Justement, bien que
personne ne l’ait touchée, la radio élève la voix :  

 LA RADIO : Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne…   

Voilà : ça c’est parlé. Si je pouvais, comme on respire, dire des
phrases dans ce genre, peut-être la conversation serait-elle possible… Il est vrai qu’on n’a jamais su ce qu’elle lui a répondu, à Baudelaire, la femme. Quelque chose qui ne vous détruirait pas
ladite voûte. Probablement rien. C’est en cela qu’elles sont fortes, le silence. Nous, on parle. Parce que, si on se tait, on a l’air fin. Si je pouvais seulement trouver les mots pour sa robe, et comme
elle y est dedans. Mais tout a l’air si bête… Lui, allait dire quelque chose, quand il a remarqué que ce
silence, qu’il était sur le point de rompre, était plein de cigales. Est-ce que ce sont mes oreilles ? Il appuie dessus, cela ne change rien. Ce léger crissement qui emplit tout l’espace, bien entendu
n’existe pas pour de vrai. C’est simplement comme l’eau profonde, elle a des reflets et pourtant aucun objet ne s’y réfléchit. L’intensité du silence a ses reflets de cigales, voilà. Enfin, si vous pouvez
vous contenter de cette explication.

ELSA


vendredi 29 janvier 2016

La Joconde

Tournons alors notre regard, pour la troisième fois, vers la Joconde. N’y aurait-il pas une clé pour ouvrir l’énigme de son regard ? Ne serait-ce point ce paysage brumeux tout à la fois lointain et proche qui se profile derrière elle ? Ici, écoutons France Quéré qui, dans Le Sel et le Vent, écrit : « Dans des formes de rocs et de lacs éclate l’étrange sonde d’un monde intérieur. [...] À hauteur des épaules [de Mona Lisa], commence un ocre paysage au relief accidenté que parcourent des efflorescences de rochers. À gauche, le sentier débouche sur les eaux grises d’un lac, striées par les ombres de rochers en surplomb. Ce sont des chevauchements de pierres, des crinières, de farouches encolures, des museaux difformes qui dressent au-dessus de l’onde le sursaut de leur colère pétrifiée. Une violence préhistorique barre le regard... À droite, du côté où se lèvent les lèvres de la jeune femme, le sentier remonte le cours limoneux de la rivière, se faufile de gradin en gradin, parmi les éboulis de pierres, parvient enfin au rebord d’un second lac, élevé au-dessus du premier... C’est un autre monde, immatériel, immensément recueilli vers lequel le sourire et le mouvement des yeux subtilement nous font signe. Le lac d’altitude s’irise à peine de quelques lueurs. Mais les malédictions de l’ombre et de l’obstruction sont vaincues. D’autres rochers s’élèvent, ils n’enténèbrent ni ne ferment plus rien. Leur ombre dessine un cerne, suggère une transparence, laisse intact le miroir des eaux... Entre les deux rivages purifiés s’ouvre une brèche où l’eau et la lumière confondent leur or, et ensemble s’éloignent vers l’infini. Est-ce un dieu qui accueille l’homme voyageur ? Est-ce la joie d’une intelligence parvenue au faîte de sa méditation ? [...] Est-ce l’enfance retrouvée, embellie par les lointains du souvenir ? [...] Un rêve humain commence là, à hauteur des yeux et du front pur. Ses aubes sont plus belles encore que les collines de Florence aux premiers rayons du jour15 ». Compte tenu de ce paysage originel qui la porte, un paysage qui contient déjà la promesse de la beauté, la Joconde nous apparaît non plus comme le simple portrait d’une femme socialement située, mais comme la miraculeuse manifestation de cette beauté virtuelle que promet l’univers dès son origine. Son sourire et son regard sont alors le signe d’une intuitive prise de conscience, celle d’un don qui vient de très loin. Ils nous signifient surtout qu’une beauté authentiquement incarnée n’est jamais beauté d’une simple figure isolée. Elle est transfiguration par la grâce de la rencontre d’une lumière intérieure et d’une autre lumière donnée là depuis toujours, mais tant de fois obscurcie. Trans-figuration est à entendre ici comme ce qui se transforme de l’intérieur, et également comme ce qui transparaît dans l’espace de vie entre le fini et l’infini, entre le visible et l’invisible.

Cinq méditations sur la beauté 




samedi 23 janvier 2016

Pas là

On me place là, face à une table. Fixe, la patte qui colle au sol, puis l’autre, et l’autre, et l’autre. Fork and knife, mange me dit-on. Me crie (pas fort), me jase. Mais je suis petit, frêle, fluet et las, oh si las. J’ouvre grand (une lèvre et l’autre, l’œil et l’autre, l’anse de l’ouïe, par deux fois), mais des fois je ne sais ce qu’il (il : « lui », des fois « eux ») exige de moi. Mon moi ? hou ! t’es là ?

    Je suis, car je vois. Je suis, parce que j’ai des mots. Je suis, grâce à mon corps. Je suis, de loin en loin, de loi en loi, par la pensée. Ça pète dans ma tête les dates, les faits, les fêtes, une crise ou l’autre, mais pas de fin, pas d’issue. Goût âcre de la perte. Tout se perd, rien ne se crée, ça vire, ça volte, ça tombe.

    Je suis, mais plus moi, plus tout à fait moi, juste un peu moi, kek part, au fond, au creux. Il sait ; sait-il ? Quand son œil s’ouvre sur moi que je suis là, un peu, au moins un peu ?

    Plus d’actes pour moi, rien qui bouge. Juste un abri ici, le corps en émoi, une larme, un cri des fois. Je suis, car un mur en moi, là et là et là. Juste un mur avec yeux, mots, corps, une pensée de-ci de-là.

    Est-ce que je suis là ? Est-ce que je me mens maman ? Trop vieux pour m’man. Maman plus là, papa plus là. Fils, fille ? Oui, je jauge, oui je crois. Et elle ? Oui, elle. Où est-elle ? Ici, avec moi ? Pas juste dans tête ?


samedi 2 janvier 2016

l'homme joie

On peut traverser la mort à gué avec un seul poème en poche. Lire, écrire, aimer, sainte trilogie. Le poème, un cercle de silence aux pierres brûlantes. Le monde, un froid qui gagne jusqu'aux étoiles. Vers deux heures du matin les reines meurent et je m'émerveille de leur cri. «Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir. » Le monde ignore l'illumination de ce cri. Ce sont les morts qui allument les lampes de la vie.