Le goût desmots, la passion des formes harmonieuses, la libre course des idées, voilà notre aventure. Elle peut souffrir la critique, elle la souhaite même parce que chaque chose, pour renaître, durer ou
s,épanouir, doit être remise en question. L'avenir est dans la recherche, l'examen, les tentatives audacieuses, la négation d,hier
Une mélodie n’est musique que parce qu’elle est composée avec des notes différentes, une alternance de sons doux, de sons forts, ainsi que des silences qui, se liant et se succédant, forment une harmonieuse unité. De même, si notre vie ne se résumait qu’à des choses heureuses, comme un son identique répété à l’infini, à quoi ressemblerait la musique de notre vie ?.
On dit que chacun connaît un moment parfait, de temps en temps, une expérience de paix complète et de lien avec le monde, comme quand on regarde la vue depuis la tour Eiffel ou qu'on contemple une étoile en train de mourir. (...)
J'imagine ces moments comme des fragments ou des éclats éparpillés sur une vie entière. Si quelqu'un pouvait les coller bout à bout, il obtiendrait une heure parfaite, voire une journée parfaite. Et je pense que cette heure ou cette journée le rapprocherait de ce qui fait le mystère d'être un humain. Ce serait comme un aperçu du paradis.
«Je compte tout le temps. J’aime les livres qui ont beaucoup de chapitres, je compte le nombre de pages par chapitre. Je vais à une adresse xxxxx, je soustrais cette adresse de celles que je vois en marchant, pour savoir numériquement à quel point je me rapproche de ma destination. Je
compte les livres que je lis, les films que je vois. Je compte les heures avant la fin d’une journée difficile. Quand j’approche de la fin de la journée, je compte en minutes. Je quadrille mon univers
avec des chiffres, gardant en tête la formule de Galilée selon laquelle l’univers est écrit dans un langage mathématique. C’est ma manière de baliser ma vie et de calmer mes angoisses. Ou, du
moins, de me donner l’illusion que je les calme, car ça ne fonctionne pas vraiment. Un jour, dans
pas si longtemps, je compterai les heures avant ma retraite. Je ne sais pas quand je vais mourir. Si
je le savais, c’est avec un plaisir gourmand que je compterais les heures avant ma mort. »
Le vertige, c’est autre chose que la peur de tomber. C’est la voix du vide au-dessous de nous qui nous attire et nous envoûte, le désir de chute dont nous nous défendons ensuite avec effroi. Avoir le vertige c’est être ivre de sa propre faiblesse. On a conscience de sa faiblesse et on ne veut pas lui résister, mais s’y abandonner. On se soûle de sa propre faiblesse, on veut être plus faible encore, on veut s’écrouler en pleine rue aux yeux de tous, on veut être à terre, encore plus bas que terre.
Est-ce l’éclat sombre de la passion ou celui de la folie qui brille au fond de ses yeux ? Deux grands yeux maquillés d’un cerne ténébreux, aux prunelles hypnotiques, qui me fixent, me fascinent, m’attirent irrésistiblement, comme une phalène. Des yeux si larges, brouillés de fièvre, en noir et blanc. Et cette imperceptible ironie sur ses lèvres.
Ses épaules insolentes sont nues et sa poitrine, découverte, se perd dans l’ombre. Peau blanche, veloutée, sensuelle, peluchée par le temps, qui s’étale sous les feux de la rampe. Coiffée d’un turban, elle porte les cheveux courts, à la garçonne, noirs, c’est une scandaleuse des Années folles. Quel âge a-t-elle ? Une trentaine d’années peut-être. Le grain de beauté piqué sur sa pommette accroche mon regard. Sa main droite aux longs doigts passés dans un collier à double rang est fléchie et reste suspendue en l’air dans un geste machinal de désœuvrement — ou de coquetterie. Un geste inachevé, d’une nonchalance calculée, faussement désinvolte, qui me fait signe, par en dessous. Elle joue. Provoque. S’offre, et se retire. Masquée. Elle m’arrête au passage. Racolage nocturne dans les allées d’un cimetière. Rendez-vous clandestin. Pour quelle cérémonie secrète ? Bientôt elle s’évanouira comme un reflet en faux jour que j’aurais cru voir. Son regard ardent dérange le rituel et l’ordre des morts. Les autres à ses côtés, figés dans leur médaillon et leurs décorations, graves, corsetés, endimanchés, ont des têtes de condamnés. Elle seule est vivante, tellement présente, au milieu de ce défilé funèbre
quand on aura allégé le plus possible les servitudes inutiles, évité les malheurs non nécessaires, il restera toujours, pour tenir en haleine les vertus héroïques de l'homme, la longue série de maux véritables : la mort, la vieillesse, les maladies non guérissables, l'amour non partagé, l'amitié rejetée ou trahie, la médiocrité d'une vie moins vaste que nos projets et plus terne que nos songes : tous les malheurs causés par la divine nature des choses
Il faut pousser toujours plus loin dans le sens d’une élévation. Plus je grandis spirituellement, meilleure est ma musique. La musique nous ouvre sur l’éternel. C’est pourquoi chacun l’aime. Elle est un langage de l’au-delà, et non des normes terrestres, pleines d’imperfections et de frustrations. Elle est la respiration du divin venu de l’au-delà. Elle est la beauté et nous met face à notre propre
beauté. Ce que je veux, c’est être un parfait instrument de ce langage.
La légèreté, elle est partout, dans l’insolente fraîcheur des pluies d’été, sur les ailes d’un livre abandonné au bas d’un lit, dans la rumeur des cloches d’un monastère à l’heure des offices, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré comme on mâche un brin d'herbe, dans la fée d’une lumière au détour d’un virage sur les routes serpentines du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer lentement les volets le soir, dans une fine touche de bleu, bleu pale, bleu-violet, sur les paupières d’un nouveau-né, dans la douceur d’ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l’instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant au sol et dans la maladresse d’un chien glissant sur un étang gelé, j’arrête là, la légèreté, vous voyez bien, elle est partout donnée.
Vois-tu mon Amie, j'ai traversé le temps et ses incertitudes.
J'ai appris que je n'étais qu'une pensée, une lumière balbutiante, un frémissement imperceptible, un léger battement d'aile, un doux murmure, une âme errante et seule, perdue dans l'entrelacs incertain de ces millions de fils invisibles que constitue le monde...
J'ai appris, lorsque, commandé par la fougue d'une jeunesse impétueuse, je suis parti en quête de cette moitié de moi, pour former un Tout qui ne fût jamais...
Ainsi va la vie des Hommes. À toujours chercher ce qu'il nous manque, nous refusons de voir la nature même de ce qui fait notre beauté, notre différence, notre unicité...
Ma conception du voyage avait changé : la destination importe moins que l'abandon. Partir, ce n'est pas chercher, c'est tout quitter, proches, voisins, habitudes, désirs, opinions, soi-même. Partir n'a d'autre but que de se livrer à l'inconnu, à l'imprévu, à l'infinité des possibles, voire même à l'impossible. Partir consiste à perdre ses repères, la maîtrise, l'illusion de savoir et à creuser en soi une disposition hospitalière qui permet à l'exceptionnel de surgir. Le véritable voyageur reste sans bagage et sans but.
Comme le mal, personne n'en doute, la beauté est en nous. Elle est dans l'œil qui regarde, dans l'oreille qui écoute autant que dans l'objet admiré. Mais entre lui et nous, il y a des liens obscurs et des rapports secrets. Souvent inattendue et souvent scandaleuse, la beauté, venue de nulle part, nous frappe au cœur avec une violence toujours neuve et toujours répétée. Elle est liée à l'amour. Elle est une promesse de bonheur. À la façon de la joie, elle est une nostalgie d'ailleurs. Elle n'est jamais où elle est. Elle change avec les cultures. Elle évolue avec les époques. Elle varie selon les individus. Elle ne cesse jamais de prendre des formes nouvelles. Elle passe. Et elle renaît.
La beauté est un secret que tout le monde a connu. Elle est très loin d'être recherchée et admirée sans réserve. Les gens sérieux en parlent avec dédain et légèreté. Tout un pan de l'art moderne se moque bien de la beauté et se vanterait plutôt, pour une raison ou pour une autre, de l'ignorer et de la mépriser. Les fous, les grands naïfs, les amants, les poètes attardés, les mathématiciens surtout la cultivent et la vénèrent. Elle est l'espérance même. Elle donne envie de vivre.
Il arrive à des êtres vivants d'être ineptes et très beaux. Il arrive aussi à des femmes laides et à des hommes en dessous du médiocre de rayonner soudain de beauté. Les saints sont toujours beaux. La bonté est belle. Et la vérité, qui peut être si triste, est toujours la beauté même.
Il y aura moultes confusions,il y aura une solitude que seules mes larmes pourront consoler comme autant de petit oiseaux mouillés tombant pour soulager mes lèvres sèches. Mais il y aura aussi parfois consolation et beauté,beauté comme l'amour d'une fille disparue. Il y aura des rires,mais avec beaucoup de tenue le rire,et on attendra tranquillement dans la nuit,et on aura doucement peur de la nuit comme d'un prodigue et taquin baiser de mort. Ensuite,il fera nuit,et les huiles douces en provenance des rivages de ma naissance seront versées sur tous mes sens par les capitaines que j'ai abandonnés dans mes impétueux rêves de jeunesse. Mais il me sera pardonné quand je retournerai à la terre d'où je viens, au bord de la mer.
Il n'y a pas de retour. La vie a pourtant des inversions qui renversent le sens du voyage. Des fleurs qui renouvellent leur floraison comme si elles cherchaient les visages de l'origine. Des regards qui se font circulaires comme s'ils poursuivaient l'extrémité du regard d'hier. Des pensées qui altèrent leurs voeux et soudain prennent en charge l'enfance de la pensée. Des mots qui séparent leurs lettres comme s'ils souhaitaient les unir différemment. Il n'y a pas de retour, mais toute chose vit en se palpant le dos, en marchant de dos, en se rêvant le dos, et en essayant de comprendre le dos d'autrui.
Nous veillons donc à régler le volume suffisamment fort pour qu'on entende la musique loin dans la nuit, qu'elle monte jusqu'au ciel ou atteigne ce lieu que nous rejoindrons tous à notre heure dernière, cet instant où les arbres cesseront de pousser, les morts d'être entendus, la pluie de tomber, le soleil de briller et où la terre n'aura plus d'odeur. Ce moment où tout prend fin d'une manière qui échappe à notre entendement, et que nous n'osons pas, mais devons sans doute constamment nous efforcer de comprendre, sans relâche ni hésitation, parce que si nous renonçons à atteindre ce qui est justement hors d'atteinte de la vie, alors nous trahissons, et cette trahison est si radicale qu'aucune force ni puissance ne saurait l'effacer.
Les montagnes en surplomb dominent la vie, la mort ainsi que ces maisons blotties sur la langue de terre. Nous
vivons au fond d’une cuvette : le jour s’écoule, le soir se pose ; elle s’emplit lentement de ténèbres, puis les étoiles
s’allument au-dessus de nos têtes où elles scintillent éternellement, comme porteuses d’un message urgent, mais
lequel et de qui ? Que veulent-elles de nous et peut-être surtout : que voulons-nous d’elles ?
Peu de vestiges évoquent à présent en nous la lumière. Nous sommes nettement plus proches des ténèbres, nous
ne sommes pour ainsi dire que ténèbres, tout ce qui nous reste, ce sont les souvenirs et aussi l’espoir qui s’est
pourtant af adi, qui continue de pâlir et ressemblera bientôt à une étoile éteinte, à un bloc de roche lugubre.
Pourtant, nous savons quelques petits riens à propos de la vie et quelques petits riens à propos de la mort : nous
avons parcouru tout ce chemin pour te ravir et remuer le destin
La place des textes est dans les manuels scolaires. Il n’y a de vérité que dans les métamorphoses du discours, et l’oral seul est suffisamment réactif pour rendre compte à vitesse réelle du cours éternel de la pensée en marche. L’oral, c’est la vie : je le prouve, nous le prouvons, rassemblés aujourd’hui pour parler et pour écouter, pour échanger, pour discuter, pour contester, pour créer ensemble de la pensée vivante, pour communier dans le mot et l’idée, animés par les forces de la dialectique, vibrant de cette vibration sonore qu’on appelle la parole et dont l’écrit n’est somme toute que le pâle symbole : ce que la partition est à la musique, rien de plus.
C'était toujours la porte appelée Mort qui s'ouvrait à toute volée, et je voyais qu'il n'y avait de morts, pas plus que de juges ou de bourreaux, que dans notre imagination. Comme je m'efforçais, désespérément, de rendre gorge ! Et je rendais gorge. Je rendais tout. Un rajah qui se dépouille de tout. Nu comme un ver. Ne possédant plus qu'un ego, mais un ego enflé et boursouflé comme un crapaud hideux. Alors, l'insanité totale de tout cela me submergeait. On ne peut se débarrasser de rien ; rien n'a été ajouté ou retranché ; rien n'a augmenté ou diminué.
Nous nous tenons sur le même rivage devant le même océan,
la même immensité. L'océan de l'amour. Il est là... in perpetuum. Autant dans une fleur brisée, le bruit d'une cascade ou le vautour qui fond sur une charogne que dans l'artillerie tonnante du prophète. Nous avançons les yeux fermés, les oreilles bouchées ; nous nous frappons la tête contre les murs alors que des portes sont prêtes à s'ouvrir au moindre contact ; nous cherchons à tâtons des échelles, oubliant que nous avons des ailes ; nous prions comme si Dieu était sourd et aveugle, comme
s'il était perdu au fond de l'immensité des espaces. Pas étonnant si nous ne reconnaissons pas les anges quand ils passent près de nous. Un jour, ce sera amusant de se rappeler tout ça.
*Maintenant, il ferait bon dormir jusqu’à ce que les rêves deviennent un ciel, un ciel calme et sans* *vent où quelques plumes d’ange virevoltent doucement, où il n’y a rien que la félicité de celui qui vit* *dans l’ignorance de soi. Mais le sommeil fuit les défunts. Lorsque nous fermons nos yeux fixes, ce sont les souvenirs qui nous sollicitent à sa place. Ils arrivent d’abord isolés, parfois d’une beauté* *argentée, mais ne tardent pas à se muer en une averse de neige étouffante et sombre
Serait-ce une vaine légende qu'autre fois dans la complainte pour Li nos la première vague de musique transperça la rigidité stérile, et que dans l'espace
épouvanté, qu'un adolescent presque divin venait de quitter à jamais, le vide se mit à vibrer de ce mouvement qui, aujourd'hui,
Je m'arrête à des embarras, à des images malencontreuses, à des courts-circuits plus qu'à des pensées formées et qu'assure un système prémédité qui les étaie. Que celui qui me lit ait constamment à l'esprit que la vérité ne m'éclaire pas et que l'appétit de dire ou celui de penser ne lui sont peut-être jamais tout à fait soumis. Je fais cet aveu qui coûte un peu à dire. Pourtant il n'est jamais singulier. La vérité de ce que nous disons est peu de chose en regard de la persuasion que nous recherchons en parlant et cette persuasion elle-même, qui est peu, est moins encore si nous la rapportons à la répétition pleine d'un vieux plaisir qui se cherche au travers d'elle. Ce plaisir est plus ancien que la mue. Il est plus ancien que les mots mêmes que la mue affecte, ou dont elle métamorphose l'apparence. Et les mots, comme ils n'en portent pas la mémoire, ils ne le capturent jamais. Ils ne le consentent jamais.
...la joie n’appartient pas à la durée, elle apparaît où et quand ça lui chante, comme la beauté, elle fulgure, se sauve, c’est un esprit follet, mais les petites échardes solaires qu’elle lance dans sa course se piquent dru dans la chair, ne se laissent pas oublier.
(...) rien ne pourra abolir cela qui a eu lieu : cet instant de splendeur jailli du fugace embrassement d’un arbre et du soleil. De la beauté se révélant à l’improviste, puis s’effaçant, de l’étreinte radiante de l’amour bientôt se desserrant, de la joie entrant en crue, puis refluant, quelque chose persiste par-delà la disparition. Tout ce qui excède en intensité, en présence, en saveur, laisse un reste.
L’amour dure trois ans, dit-on, ou même moins, et c’est vérifiable quand il ne s’agit pas d’amour. En réalité, l’amour dure toujours, il faut simplement mieux définir ce toujours. D’une façon ou d’une autre, visible ou invisible, vous sacralisez quelqu’un dans son existence entière, sa respiration et sa mort. L’amour, s’il a lieu, est plus fort que la mort. Dans l’amour, quoi qu’il arrive, même aux confins de l’horreur ou de la démence, vous touchez du doigt la défaite de la mort
De quoi naît le bonheur sinon du malheur ? Observe ceux qui nous entourent. Parmi eux, il y en a qui ont perdu des êtres chers au cours de ces dernières années, qui ont souffert, versé des larmes, qui ont cru mourir de douleur. S'ils n'avait pas connu ces heures tragiques, crois-tu qu'ils seraient capable de vivre pleinement ces instants de fête ? Méfions-nous des vies sans tourment. Elles nous installent dans un état de torpeur et nous donnent l'impression d'être immortel.