Serait-ce une vaine légende qu'autre fois dans la complainte pour Li nos la première vague de musique transperça la rigidité stérile, et que dans l'espace
épouvanté, qu'un adolescent presque divin venait de quitter à jamais, le vide se mit à vibrer de ce mouvement qui, aujourd'hui,
Je m'arrête à des embarras, à des images malencontreuses, à des courts-circuits plus qu'à des pensées formées et qu'assure un système prémédité qui les étaie. Que celui qui me lit ait constamment à l'esprit que la vérité ne m'éclaire pas et que l'appétit de dire ou celui de penser ne lui sont peut-être jamais tout à fait soumis. Je fais cet aveu qui coûte un peu à dire. Pourtant il n'est jamais singulier. La vérité de ce que nous disons est peu de chose en regard de la persuasion que nous recherchons en parlant et cette persuasion elle-même, qui est peu, est moins encore si nous la rapportons à la répétition pleine d'un vieux plaisir qui se cherche au travers d'elle. Ce plaisir est plus ancien que la mue. Il est plus ancien que les mots mêmes que la mue affecte, ou dont elle métamorphose l'apparence. Et les mots, comme ils n'en portent pas la mémoire, ils ne le capturent jamais. Ils ne le consentent jamais.
...la joie n’appartient pas à la durée, elle apparaît où et quand ça lui chante, comme la beauté, elle fulgure, se sauve, c’est un esprit follet, mais les petites échardes solaires qu’elle lance dans sa course se piquent dru dans la chair, ne se laissent pas oublier.
(...) rien ne pourra abolir cela qui a eu lieu : cet instant de splendeur jailli du fugace embrassement d’un arbre et du soleil. De la beauté se révélant à l’improviste, puis s’effaçant, de l’étreinte radiante de l’amour bientôt se desserrant, de la joie entrant en crue, puis refluant, quelque chose persiste par-delà la disparition. Tout ce qui excède en intensité, en présence, en saveur, laisse un reste.
L’amour dure trois ans, dit-on, ou même moins, et c’est vérifiable quand il ne s’agit pas d’amour. En réalité, l’amour dure toujours, il faut simplement mieux définir ce toujours. D’une façon ou d’une autre, visible ou invisible, vous sacralisez quelqu’un dans son existence entière, sa respiration et sa mort. L’amour, s’il a lieu, est plus fort que la mort. Dans l’amour, quoi qu’il arrive, même aux confins de l’horreur ou de la démence, vous touchez du doigt la défaite de la mort
De quoi naît le bonheur sinon du malheur ? Observe ceux qui nous entourent. Parmi eux, il y en a qui ont perdu des êtres chers au cours de ces dernières années, qui ont souffert, versé des larmes, qui ont cru mourir de douleur. S'ils n'avait pas connu ces heures tragiques, crois-tu qu'ils seraient capable de vivre pleinement ces instants de fête ? Méfions-nous des vies sans tourment. Elles nous installent dans un état de torpeur et nous donnent l'impression d'être immortel.
J’aime cette force du trait, cet éblouissement du noir, il y a quelque chose de pourpre dans vos
noirs, comme une colère, enfin vous voilà de retour parmi nous, c’est le malheur qui fait les
vrais peintres, la joie donne des couleurs bien trop pâles, à la rigueur des aquarelles, des papiers peints, mais certes pas de grandes œuvres, n’est-ce pas, maître ? Et le maître sourit, acquiesce d’un sourire à l’architecte qui lui parle avec chaleur, une coupe de champagne rose à la
main. Cause toujours. Pour l’heure je m’efforce de peindre encore. Rien de plus que ça : encore.
Dans les expositions, il y a des jeunes femmes minces, l’aventure flotte autour de leurs épaules
nues. Ce genre de femmes qui aiment les artistes comme on aime celui qui vous promet l’infini
pour vous seule, pour vos beaux yeux, pour votre corps adoré et votre âme sans pareille. Ce genre
de femmes qui séduisent leur séducteur. Elles traînent autour des galeries. Elles amènent l’argent et l’intelligence autour de leurs bras frais. Elles tournent autour du père qui les maintient à distance, avec un sourire. La mère les regarde, n’en pense rien. Ce n’est pas son affaire. Elle regarde les peintures. On dirait les symptômes d’une maladie indéchiffrée. Chaque tableau mesure un éloignement, une ombre agrandie par le soleil couchant.
Et Paul dans son rêve s'est éveillé, il s'est levé au-dedans de lui-même, il a su qu'il rêvait et que ce rêve était une traversée en profondeur, qu'il était convoqué dans une trouée de sa conscience, aux confins de la lucidité et de l'extravagance, de l'onirisme et de la clairvoyance. Il a regardé couler la phrase scandée de virgules et de points comme autant d'herbes, de branches et de racines livrées au courant. Scansion légère qui ne retient pas les mots, leur impose juste quelques ondulations, un discret ralentissement.
« Je pense qu’on ne connaît jamais personne, qu’on ne sait jamais ce qu’il y a, ce qui se passe au profond intime d’une créature humaine. Il peut y avoir des richesses de tendresse, de dévouement, de pitié qu’on ne soupçonne pas, qui ne se montrent que dans certaines circonstances rares. Juger autrui ! Ah ! on devrait toujours s’en garder. Est-ce qu’on sait, est-ce qu’on est sûr. Tel qui rit, qui est tout en boutades, en brusqueries, en indifférence, est peut-être le plus sensible secrètement. Tenez, si on pensait à tout cela, on n’oserait plus écrire, porter un jugement sur quelqu’un. »
"Il ne faut pas oublier que le corps dépérit, que les amis meurent, que tous vous oublient, que la fin est solitude. Pas oublier non plus que ces vieux ont été jeunes, que le temps d'une vie est dérisoire, qu'on a vingt ans un jour et quatre-vingts le lendemain. Colombe croit qu'on peut "s'empresser d'oublier" parce que c'est encore tellement loin pour elle, la perspective de la vieillesse, que c'est comme si ça n'allait jamais lui arriver. Moi, j'ai compris très tôt qu'une vie, ça passe en un rien de temps, en regardant les adultes autour de moi, si pressés, si stressés par l'échéance, si avides de maintenant pour ne pas penser à demain...Mais si on redoute le lendemain, c'est parce qu'on ne sait pas construire le présent et quand on ne sait pas construire le présent, on se raconte qu'on le pourra demain et c'est fichu parce que demain finit toujours par devenir aujourd'hui, vous voyez ?
Donc il ne faut surtout pas oublier tout ça. Il faut vivre avec cette certitude que nous vieillirons et que ce ne sera pas beau, pas bon, pas gai. Et se dire que c'est maintenant qui importe : construire, maintenant, quelque chose, à tout prix, de toutes ses forces. Toujours avoir en tête la maison de retraite pour se dépasser chaque jour, le rendre impérissable. Gravir pas à pas son Everest à soi et le faire de telle sorte que chaque pas soit un peu d'éternité. Le futur ça sert à ça : à construire le présent avec des vrais projets de vivants."
Quand j’habitais aux environs d’une vieille ville italienne,je suivais pour rentrer chez moi une ruelle étroite et mal dallée, resserrée entre deux murs très hauts . (On n’imagine pas la hauteur de ces murs en pleine campagne). C’était en avril ou en mai. A un endroit où la ruelle faisait coude, une odeur puissante de jasmins et de lilas tombait sur moi . Je ne voyais pas les fleurs cachées qu’elles étaient par la muraille. Mais je m’arrêtais longuement pour les respirer et ma nuit en était embaumée. Comme je comprenais ceux-là qui enfermaient si jalousement ces fleurs qu’ils aimaient !
Une passion veut des forteresses autour d’elle, et à cette minute j’adorais le secret qui faisait toute chose belle, le secret sans lequel il n’est pas de bonheur.
J’écris sur la perte de mon foyer et de ma langue, j’écris sur la méfiance, la peur, la difficulté à parler et le déracinement. J’aime les êtres déracinés, ils possèdent une densité, une sensibilité particulières. Je recherche la simplicité comme transparence – celle qui permet de voir les choses. Nous vivons dans un tel chaos… Le but, le principe de l’écriture, consiste à cristalliser nos sentiments, nos pensées, notre imaginaire, pour leur
donner une clarté absolue. Certains noient ce qu’ils expriment dans une sorte de brouillard artistique. Je préfère la transparence, la pureté.
Une phrase doit être nette, propre, vous apporter quelque chose, vous nourrir. La littérature, si elle est littérature de vérité, est la musique religieuse que nous avons perdue. La littérature contient toues les composantes de la foi : le sérieux, l’intériorité, la musique et le contact avec les contenus enfouis
Il faisait froid. Il y avait tellement de monde, et en vérité personne. J’ai cherché un abri, un lieu humain. Je l’ai trouvé : le dos appuyé contre un pilier j’ai ouvert votre livre et j’ai lu votre poème Rêve intermittent d’une nuit triste. Je l’ai lu quatre fois de suite. Il n’y avait plus de foule, plus de froid. Il n’y avait plus que la lumière rose de votre chant – ce rose que Rimbaud vous a volé, entrant dans votre écriture comme un pilleur de tombe égyptienne. Qu’importe : vous revoilà. Intacte et régnante par votre cœur en torche. La vie avec vous a été d’une brutalité insensée. Plus ses coups étaient violents, plus votre chant s’allégeait. Votre amour a triomphé de vos assassins. Ils ne voyaient pas que vos larmes étaient de feu. Je lisais, je lisais, je lisais. Votre poème avait fait disparaître Paris et le monde. Il n’y a que l’amour pour accomplir ce genre de miracle. La grâce de vos images jetait sur mon visage des reflets de rivière. Et ce rose, ce rose ! Mon dieu comme c’était beau – d’une beauté de noisetier, de soleil dans ses limbes. Si je vous vois en rose c’est parce que cette couleur n’entre jamais en guerre et semble toujours au bord de défaillir dans l’invisible. Vous lire ainsi, debout, dans le froid d’une gare, c’était une déclaration de vie, une échelle plantée sur le sol, appuyée sur le ciel.
Votre voix m’arrive avant les mots qu’elle porte. Vous lire c’est regarder le poitrail de l’oiseau qui se gonfle, vous savez, cette joie atomique qui lui monte à la gorge juste avant de chanter. Nous sommes revenus ensemble au Creusot. Les livres agissent même quand ils sont fermés. Les voix, chère Marceline, ce sont les fleurs de l’éternel mises dans notre bouche. Elles fleurissent notre crâne de mort à venir. Elles ne s’éteignent pas avec nous, elles s’éloignent, et c’est le travail du poème que de les faire revenir près de nous. La voix de mon père avait quelque chose de la croûte d’un pain chaud. Elle s’ouvrait, se donnait, était par elle-même nourricière. Votre voix à vous : le chant d’une rivière inquiète qui ne dort jamais. Ce n’est pas une image. Je vais chercher là-bas de quoi éclairer ici. C’est ce qu’on appelle « poésie », n’est-ce pas ? Il faudrait un autre nom ou même aucun, et simplement dire : croyez-le ou non, mais en entendant le chant de la rivière dans le bois de Saint-Sernin, j’ai vu un livre plus beau que tous les livres. Il était signé Marceline et s’écrivait avant ma naissance, après ma mort, tout le temps et toute l’éternité.
Chère Marceline Desbordes-Valmore vous m’avez pris le cœur à la gare du Nord et je ne sais quand vous me le rendrez. C’est une chose bien dangereuse que de lire.
_"J'aimerais vous souhaiter bonne chance mais je ne suis pas sûr que cela vous soit utile. _Parce que vous êtes quelqu'un qui ne compte pas sur la chance. _En admettant que je veuille compter dessus, je ne saurais pas trop comment la reconnaître. Je ne l'ai encore jamais rencontrée."
À la tombée de la nuit, je lançai Elvis entre les étoiles et les feux de signalisation. Il s'ébroua en silence et s'évapora à l'horizon rectangulaire des habitations. Je devenais pêcheur de sirènes, avec un perroquet en guise de canne à pêche. Seuls la pharmacienne et le détective étaient au courant de mes agissements nocturnes. Ils ne me jugeaient pas, ils m'encourageaient, sentant combien cette quête me faisait du bien. C'était aussi excitant et ridicule que de plier un bout de papier pour l'enfoncer dans une bouteille jetée à la mer,[.....]
Au lever du soleil, le perroquet revint enfin cogner à ma fenêtre. Je lui ouvris, il voleta de paroi en paroi, véritable boule de flipper vivante, avant de se coincer la tête entre les persiennes.
Je claquai des doigts trois fois et il récita les messages qu'il avait enregistrés au fil de ses rencontres. La plupart étaient des rires plus ou moins bienveillants, certains des insultes, d'autres des blagues pas drôles et imbibées. « Oui, oui… c'est moi la fille qui… quoi déjà ? » Le perroquet contenait également un « Je suis le genre de filles qui disparaît quand on l'embrasse et j'aimerais bien connaître la suite de l'histoire » tendrement gloussé, mais c'était la voix de la pharmacienne. « Au fait, c'était Louisa », concluait-elle.
L’inspiration, c’est comme un oiseau doré qui nous envahit, sans qu’aucune prière, aucune supplique, aucune discipline ne permette de l’attirer. Quand il se manifeste, on le ressent
physiquement, mentalement, spirituellement : on devient transcendant. C’est alors que toutes
les années de travail prennent leur pleine justification.
La plupart des gens souffrent de cette infirmité de ne pas savoir dire ce qu'ils voient ou ce qu'ils pensent. [...] La littérature tout entière est un effort pour rendre la vie bien réelle. Comme nous le savons tous, même quand nous agissons sans le savoir, la vie est absolument irréelle dans sa réalité directe : les champs, les villes, les idées, sont des choses totalement fictives, nées de notre sensation complexe de nous-mêmes. Toutes nos impressions sont incommunicables, sauf si nous en faisons de la littérature.
“La vie coule entre mes doigts. Je n'ai pas réussi à en trouver le sens. Je ne vis pas, j'aveuglette. Mal avec les autres, mal avec moi-même. J'en veux aux gens de me renvoyer cette image de moi que je n'aime pas et je m'en veux de ne pas être capable de leur imposer une autre. Je tourne en rond sans avoir le courage de changer. Il suffit d'accepter une seule fois d'obéir aux lois des autres, de vivre en conformité avec ce qu'ils pensent pour que notre âme se débine et se délite. On se résume à une apparence.”
“Les livres m’ont sauvé. Du désespoir, de la bêtise, de la lâcheté, de l’ennui. Les grands textes nous hissent au-dessus de nous-mêmes, nous élargissent aux dimensions d’une république de l’esprit. Entrer en eux, c’est comme aborder la haute mer ou décortiquer un mécanisme d’horlogerie extrêmement sophistiqué.”
Des êtres épinglés à la surface du monde comme des phalènes à la lueur d’un néon. Humanité déplacée, en suspens, encore présente et déjà absente. Humanité à la fois fragile et redoutée, qu’un coup de vent ou une décision politique peuvent emporter au loin.