Il faut faire grande attention aussi à la mer. Les jours de tempête, on a coutume de faire la promenade des falaises. Et quoique la mer soit pleine de menaces, malgré le va-et-vient de ses forces qui semblent grandir à chaque instant, le spectacle est beau et somme toute réconfortant, puisque cette grande excitation et ces énormes paquets d’eau, des paquets à renverser un train, tout ça ne va qu’à vous mouiller un peu.
Cependant, s’il y a une anse, où les violences de la mer sont peut-être moins fortes, mais venant de plusieurs directions se conjuguent en une trouble mêlée, il peut n’être pas bon de regarder, car tandis que la plus grande violence n’avait pas réussi à vous démoraliser, tout au contraire, cette surface sans horizontalité, sans fond, cuve d’eau montante, descendante, hésitante, comme si elle-même souffrait, peinait humainement (ses mouvements sont devenus lents et embarrassés et comme calculés), cette eau vous fait sentir en vous-même l’absence d’une vraie base, qui puisse servir en tout cas, et le sol même, suivant la démarche de votre esprit, semble se dérober sous vos pieds
Henri Michaux
La nuit Remue