Depuis le début de la vie, jusqu’au dernier instant, nous sommes sur le passage des dieux. Partout, quand nous entendons la voix du poème, apparaît l’éden boréal. Éclaircies qui ouvrent les cieux lourds, humides, gris, éclairs blancs et bleus qui traversent la brume, qui brillent dans l’ombre. Chaque fois que revient la voix, ainsi, au milieu de la vie, notre cœur ralentit et nous respirons à peine. L’air glacé nous enivre. Le froid intense passe sur les toits des maisons, fait briller les pierres des montagnes. Alors il n’y a plus tout cela, ces esplanades, ces pylones, ces rues et ces routes : il y a la mer. La mer bleu d’acier, sous le ciel, au soleil. Alors, d’un seul bond, on est tout près du Pôle d’Inaccessibilité, au centre de la mer et du ciel. La voix calme nous soulève et nous transporte jusqu’au milieu des dieux glacés, et nous restons là longtemps, pleins d’ivresse. Nous sommes avec Peary, le 6 avril 1909. Nous allons avec les marins obstinés, Stefansson, Nansen, Abruzzi. Ou bien nous volons droit devant nous, sans regarder le compas qui s’affole. Nous volons comme Byrd, comme Wilkins. Nous sommes « Norge » qui va d’une traite du Spitzberg au détroit de Bering, au dessus des dieux innombrables qui étincellent sur la mer